Loyauté institutionnelle et tradition de métier… Qu’est ce qu’y être loyal?  Si la loyauté est l’expression d’un dévouement envers une cause ou une personne propose le dictionnaire, le dévouement n’est pas un devoir. Les études du Tavistok Institute,  les travaux de Lewin, d’Octave Géliner (morale de l’entreprise et destin de la nation 1965)  se cassent les dents sur la question de fond étonnamment complexe : qu’est ce qui motive les salariés à l’engagement?

Crozier et Friedberg, dans les années 60 déconstruisent le modèle paternaliste de l’entreprise :  « Nous vivons généralement avec une image tout à fait fausse de l’action organisée »! … « L’homme garde toujours un minimum de liberté et qu’il ne peut s’empêcher d’utiliser pour battre le système ».  En effet, Le travailleur n’est pas qu’une main (Ford, Taylor), une main et coeur ( le mouvement des relations humaines du Tavistok Institute ), mais il est « avant tout une tête, c’est-à-dire, une liberté » ose Crozier. Cette approche d’ un modèle structuré sur les enjeux de pouvoir ne tient pas au regard des connaissances sur les richesses de la relation interpersonnelle. Ce qui fait que Max Weber adosse le capitalisme à la pensée à la lumière de l’éthique protestante de Benjamin Franklin . Ainsi, le système bureaucratique qu’il propose est bien celui de son époque, d’un système de pensée par delà l’individu au service d’une vision du monde. Audiard ne s’y trompe pas : « Dans la vie il y a deux expédients à n’utiliser qu’en dernière instance : le cyanure ou la loyauté. » fait-il dire au Gentleman D’Epsom.

Plus près de nous, François Dupuy dans « La fatigue des élites »  décrit avec précision la mise à mal de cette loyauté des cadres par l’approche gestionnaire de l’entreprise… « Continuer à faire croire que les cadres, par ce qu’ils sont cadres, comprennent et défendent naturellement les intérêts de l’entreprise, au besoin contre leurs propres intérêts, est au mieux une approximation, au pire une supercherie intellectuelle » écrit-il.

Sainsaulieu dès les années 80 apporte quelque chose de nouveau en parlant du système bureaucratique : « Cela ne suffit pas à assurer la stabilité de l’organisation… il faut le charisme d’un chef… et une place assignée à chacun par la tradition du métier ».

Le métier, la tradition du métier ! Voila un thème qui ne vieillit pas et qui engage tous les acteurs de l’organisation du travail que ce soit autour de la machine à café ou dans les espaces de régulation de l’organisation du travail . Nous la pensons fortement corrélée à la question du travail bien fait. Ainsi que le propose Yves Clot, « la question du travail bien fait est réellement instituante si elle est prise au sérieux ». Par ce qu’elle croise deux approches, une qualitative et  l’autre de régulation, la voie de la tradition de métier, n’est pas une impasse du « c’était mieux avant » mais propose à tout un chacun d’avoir accès au débat collectif sur le positionnement et l’héritage professionnel d’un métier.

La question de la tradition n’inscrit pas les travailleurs dans un immobilise, un refus du changement mais offre la possibilité de revisiter les savoir-faire sédimentés d’un collectif de travailleur. Il s’agit, à partir d’exemples concrets de l’activité, de confronter héritage et réalité sociale afin d’offrir des voies de dégagement et de changement organisationnel sans détruire les repères du « genre professionnel ».

Car nous reconnaissons avec Katia Kostulki « que ce qui use ou rend malade dans le travail, ce n’est pas d’avoir beaucoup de travail mais de pouvoir le réaliser de façon acceptable ». Ce quYves Clot résume dans une formule choc : « nous ne sommes guère adaptés, contrairement aux apparences, à seulement vivre dans un contexte. Nous sommes plutôt faits pour fabriquer du contexte pour vivre. »

Notre métier d’accompagner les institutions trouve sans doute là son lest : donner l’occasion à ceux qui travaillent de montrer à nouveau ce dont ils sont capables quand ils ont si souvent dû y renoncer, sinon de le maintenir dégradé, sous les formes factices du conformisme organisationnel.